Cet article a été publié initialement sur le blogue « Plainte contre X – Karin Bernfeld » le 22 septembre 2013
Certains vont évidemment me dire que, comme toutes les féministes, je n’ai pas d’humour, mais voilà, aujourd’hui en entendant à la radio dans une petite chronique légère un chanteur parler de ses chansons préférées, j’ai été prise d’une certaine nausée à entendre que celles-ci racontent tout simplement des histoires d’hommes qui tuent « la femme qu’ils aiment »…
C’est sur une musique toute joyeuse que le chanteur à la guitare a répondu à la question du journaliste de France info qui lui demandait quelles étaient « les plus belles murders balads »… Et l’on apprend que ce type de chanson est un genre en lui-même, et la chanson que l’on va écouter est « un classique folk du XXème siècle chanté par énormément d’artistes ». Sympathique, en effet, si on ne comprend pas l’anglais. Le chanteur résume : « le gars il sort de chez lui, il rencontre cette fille, et il la bute, direct », dans une autre chanson de ce genre, le gars, « il veut se marier avec elle, elle veut pas, il la tue ».
La tonalité joyeuse employée pour évoquer ces petites histoires du dimanche ne fait que renforcer cette impression : ils considèrent ces crimes comme banal et finalement pas si graves.
Bien sûr, il s’agit de création artistique, je ne dirais rien de rien, d’ailleurs le chanteur et l’animateur ont bien dit que c’était répréhensible (les héros meurtriers vont en prison), le chanteur trouve d’ailleurs que c’est ballot, quand même, « le mec a tout gâché avec le meurtre de la femme qu’il aime… »
Betrand Cantat aussi devait aimer les « murders balads », ce « genre » à part entière dont j’ignorais le nom. Des chansons genrées puisque ce sont des hommes qui veulent tuer des femmes.
Le chanteur regrette qu’en France on n’ait pas trop ce genre qu’il qualifie de (sic) « un peu dramatique »…
Nous avons des dizaines de titres, des millions de vente de ces types nommés Booba, Orelsan, La Fouine, Snoop Dogg – pour ne citer qu’eux – qui appellent au meurtre et aux violences contre les femmes.
Bizarrement, je ne trouve pas de chansons qui racontent un homme qui a été buté, torturé ou cramé par sa copine un peu trop énervée.
Mes héroïnes, Alice, ou Estelle de Plainte contre X, pourraient en rêver.
Au moment où la Ministre du Droit des Femmes vient de présenter son projet de loi pour l’égalité, à nouveau les chiffres surgissent. Implacables.
Des millions de femmes sont atteintes par la violence dans notre pays. Et en quelques années, ce sont des centaines de femmes assassinées.
En France 1 femme sur 10 est victime de violence conjugale, et une femme meurt tous les deux jours et demi, tuée par son conjoint.
Alors je remercie France Info de n’avoir pas poussé le cynisme jusqu’à programmer cette émission dans deux mois, le 22 novembre, le seul jour où, peut-être pendant quelques heures, nous entendrons, loin des petites mélodies rigolotes, la vérité des féminicides dans notre pays.
La chronique s’appelait « Les chansons qui font une vie »… Ils auraient pu l’appeler « les chansons qui font une mort » ou « Féminicide mode d’emploi ».
Voilà que, en relisant les lignes ci-dessus, je vois le correcteur automatique qui souligne en rouge le mot comme une faute de français : « Féminicide ? Connaît pas. »
(diffusé en plusieurs fois – la partie évoquée ci-dessus se situe à 10 min 14)