Article publié dans LE PLUS l’été dernier. La saison estivale est l’occasion rêvée pour les magazines de sortir leur numéro « spécial sexe », sous couvert de culture populaire. Pratiques, préférences, nouveautés… tout y passe.
La star de ces pages ? Le porno. Un hebdomadaire est allé trop loin, jusqu’&agragrave; l’apologie de l’industrie du X mainstream. Un coup de gueule à mille lieues de ceux des conservateurs. Trigger Warnings Le porno s’est banalisé, démocratisé. Il est le marronnier inépuisable des médias. Tout le monde en parle et en regarde tant il est devenu populaire. Aujourd’hui, un numéro « spécial sexe » entre les mains, je m’intéresse au porno humanitaire : le porno du pauvre, sanitaire et social. Ce n’est pas du porno, c’est de la culture A la bibliothèque municipale, en entrant, sur un présentoir d’actualités, un magazine culturel imprimé à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, la couverture, fille seins nus, langue tendue. C’est le « spécial sexe » de l’été. J’emprunte le magazine parce que le sexe m’intéresse beaucoup évidemment ; ayant publié des livres sur le sujet, je dois rester informée. Ouvrant la revue, j’ai un léger mouvement de recul : une femme aux cuisses écartées, vulve ouverte agrémentée d’une bite en érection. Je tourne les pages, photos et illustrations clairement pornographiques, femmes attachées fouettées, éjaculations faciales. A côté de moi, dans la bibliothèque, des enfants regardent des B.D., des livres de contes. Un peu limite, ici, cette revue, non ? J’interroge le personnel, il faut la laisser en libre accès. Soit, halte à la censure, ce n’est pas du porno, c’est de la culture, sans jeu de mots. Des mecs de cités dans la peau d’acteurs porno A l’intérieur du magazine, un reportage sur le tournage d’un film porno en banlieue parisienne. Pas n’importe lequel : un bukkake. Le but, c’est que 40 mecs aspergent de sperme le visage d’une femme. C’est une pratique très demandée par les consommateurs, une spécialité comme une autre. L’idée fantastique du réalisateur, c’est de convoquer des mecs des cités en rut pour gicler sur la fille, ravis de baiser gratuitement avec un argument mis en avant : on ne pourra pas les reconnaître avec leurs foulards et leurs capuches, car attention, ces hommes sont très soucieux de leur image, vous comprenez, la réputation, la famille, les employeurs, c’est important. Si ça vous tente, le magazine prend soin de tout expliquer et d’en faire une jolie publicité. C’est facile : vous avez le mode d’emploi, pour regarder la vidéo sur le site Internet ou pour participer au prochain tournage. Quelle prise de tête, le consentement ! Le réalisateur n’a rien inventé. Cette pratique extrême existe depuis longtemps, j’en ai vu il y a vingt ans. Le journaliste, n’oubliant pas qu’il rédige dans un hebdo culturel et intellectuel se fend de son rappel historique : le phénomène est en plein essor, ça vient du Japon et la pratique viendrait des « méthodes punitives de l’époque féodale », où une femme recevait comme châtiment d’être ainsi aspergée par tous les hommes d’un village. Bien sûr, ajoute l’article, pour les hommes adeptes tout repose sur le fantasme du viol collectif. Ensuite, vient une explication psychologique que Freud lui-même n’aurait pas reniée : la motivation de ces pauvres gars c’est de soulager leur instinct de « domination ». Mais surtout, beaucoup plus pragmatique, le grand avantage pour eux c’est qu’il n’y a plus besoin de « se prendre la tête avec les questions de consentement ». Ah, c’est vrai, quelle prise de tête, le consentement ! S’il faut toujours s’assurer que l’autre ait envie de baiser, où va-t-on ? La décharge pour décharger L’action se passe dans un hangar à côté d’une décharge de carcasses de voitures, le lieu est sordide à souhait, le journaliste prenant soin de préciser que le garage est « détenu par des gitans ». Le décor est un peu spartiate : au sol un matelas pourri « recouvert de sacs poubelles ». Interviewé, un porn-débutant prépare déjà sa queue, l’air étonné, il se rend compte que l’atmosphère est spéciale, pas comme il l’imaginait quand il matait les vidéos : « j’ai l’impression qu’on prépare un combat de boxe », constate-t-il. Ben oui, mec, y a de ça, belle métaphore, pour l’aspect violent c’est bien vu, mais ici c’est à mains nues, et un match de boxe c’est mignon à côté de ce qui va avoir lieu : dans la boxe, il y a deux adversaires de même gabarits avec des gants, ici, c’est 40 mecs contre une femme, quel combat équitable ! Et sans capote pour aller dans sa gorge. Peut-être les gars feront l’effort d’en mettre pour ses autres trous, car ils comptent bien ne pas se contenter de la bouche. D’ailleurs, le débutant s’impatiente : « J’espère que la fille a une bonne mutuelle santé parce qu’elle va prendre cher. Elle va chier des briques ». Certains vont enfin comprendre en quoi la pornographie est une arme de destruction massive. Le business juteux des banlieues On apprend que le réalisateur avait débuté son activité dans des clubs échangistes qui l’ont viré. Parmi les participants du jour, il y a justement un gars déçu du libertinage, qui explique ce qui ne lui convenait pas : là-bas, il fallait s’efforcer un minimum de séduire, alors qu’au moins « ici c’est juste la boucherie : n’importe qui peut venir, la meuf ne dira jamais non ». Ils ont tous compris le bon plan, dans la région, les types en manque préfèrent aller sur un tournage plutôt que d’aller aux putes. Un des branleurs explique que pour se faire des filles, la drague, le cinéma ou le restau, ça l’ennuie, tandis qu’ici « c’est clair : tu viens, tu gicles et basta ». Le type à l’origine du tournage le fait par goût de voir et faire ça sans détour, le réal il dit : « moi dans la vie j’aime éjaculer sur la gueule de mes gonzesses ». Fier de « vider les couilles des cités françaises » Certes, il embauche des bénévoles parce que ça ne lui coûte rien par rapport aux pros, mais ne voyez pas du tout en lui un horrible capitaliste, au contraire, c’est du social. Ces pauvres exclus, souvent au chômage, n’ont pas les moyens de baiser, il vient à leur secours. En les soulageant, il sauve le pays tout entier. Le réal, très satisfait des répliques provocatrices qu’il lance, indique être fier de « vider les couilles des cités françaises », et de poursuivre « Grâce à moi on aura évité des émeutes en banlieue ». Ouais, on va bientôt lui discerner la Légion d’honneur pour avoir développé le porno humanitaire. Quant à vous, consommateurs, fini la culpabilité : ce porno-là, c’est une B.A., de la charité pour les plus miséreux. Généralisons donc le procédé, branlez-vous pour soutenir les banlieues ! Lecteurs, branlez-vous sur la « violence sociale » Un spectateur de tournage partage son malaise avec le journaliste, qui, lui, décrit cliniquement ce qui se déroule sous ses yeux. Au milieu de l’attroupement masculin, la jeune femme se voit infliger pendant plusieurs heures fellations et pénétrations. Vous vous demandez, qui est cette jeune femme ? Oh, une Nîmoise venue exprès pour le film… Le producteur, comment recrute-t-il les filles qui acceptent ça ? Très facilement, car, explique-t-il, ce sont des « jeunes femmes sans expérience », « des cassos », abréviation montrant son mépris pour celles qu’il qualifie de « cas sociaux » pour lesquelles, à l’inverse des mecs des cités, il n’est cette fois pas question de compassion. « Elles n’ont pas de thune, elles sont à la rue […] Mais nous on est contents : ça fait de bons vide-couilles ». Le réal dit que, bien sûr « elles regretteront une semaine plus tard », mais peu importe. D’ailleurs, sur ces vies détruites, l’article ne dira rien. Dans ce mag, politiquement plutôt à gauche, l’édito emploie, à propos de ce tournage l’expression « violence sociale ». Courageuse prise de position. Qualifiant ensuite cette violence d’échauffement, provoquant l’envie irrépressible de se branler. La masturbation étant le thème du reportage qui suit. Humour ? Apologie de la pornographie et du travail sexuel Dans ce reportage sur la banlieue, des professionnelles du X sont interrogées. Elles critiquent ces amateurs empiétant sur leur marché. Elles ne diront pas que c’est la pratique violente qui pose problème, au contraire elles peuvent aussi adorer… Une d’elles dénonce tout de même le manque d’hygiène : aucun test VIH, IST n’est demandé aux participants. A la suite d’un de ces tournages, où une femme a dû sucer sans capote et subir l’éjaculation de 150 mâles, il y a eu une épidémie de syphilis. Une autre hardeuse se met en colère :
« 40 mecs qui baisent une nana payée une misère et traitée comme une sale bout de viande, c’est proche de l’esclavage ».
Conclusion, la même chose mais mieux payée est tout à fait acceptable. Il suffit de faire du porno propre et syndiqué. L’ensemble de ce « numéro spécial sexe » le prouve, en faisant l’apologie de ce qu’ils nomment toujours « travail du sexe ». La jeune Nîmoise prépare une carrière d’escort et, plus loin dans la revue il y a un entretien avec un défenseur de la prostitution, représentant des ouvriers du cul, un homme bien sûr, qui loue ses services à des femmes. Le tiers-monde du sexe valorise les paillettes du X-chic Si l’article sur le tournage du porno de banlieue, sale et violent, figure dans ce numéro « fun » de l’été, c’est uniquement pour valoriser l’autre, le porno riche, respectable et propre. Faire ainsi un tour du coté du tiers-monde du sexe pour mieux vendre les paillettes du X-chic, c’est faire croire qu’il existe deux mondes différents dans le porno avec une frontière aussi nette que celles d’une carte géographique. Loin de ce qui se passe dans ces départements du 93, 91, 78, de ce qui est trop « dark » pour reprendre l’expression du magazine, vous avez le X acceptable, celui mis en avant sur une autre page. A côté d’un joli portrait, le journaliste fait l’éloge détaillé des talents d’une débutante qui va devenir la nouvelle « superstar du cul ». Comprenez : il y a le sale en décharge et le beau en studio. A bas le porno de prolo, vive le porno bobo ! Nouveau trait d’esprit, l’article s’achève par la phrase d’un des participants qui interpelle les autres d’une critique :
« Dites, les gars, vous ne trouvez pas que la fille était un peu sèche vers la fin ? »
Ah ce problème de la lubrification… Rassurez-vous, il y a une solution, dans un autre article, il est regretté qu’actuellement il existe de nombreux guides pour que les hommes soient efficaces dans la baise, des « bêtes de sexe » ou des « bons coups », mais qu’il n’y a aucun mode d’emploi pour les femmes qui, décidément, doivent encore faire des progrès pour les satisfaire. La performance de la jeune Nîmoise a-t-elle été applaudie ? A la fin de la journée, alors que « la fille » se retrouve « les yeux rouges » et « le visage recouvert de sperme », ce charmant réal a l’idée géniale de demander aux gars de finir « la gonzesse à la pisse ». Ils l’aspergent donc d’urine. Ce n’était pas du tout prévu mais elle n’est pas en position de refuser. Comment ? Vous trouvez que ça va trop loin ? Si vous êtes consternés à la fin de cet article en immersion, c’est que vous faîtes surement partie de La Manif Pour Tous, que vous êtes des chrétiens extrémistes. Si vous osez penser que la pornographie érige la violence sexuelle envers les femmes comme modèle, vous êtes coincés du cul, vous êtes de ces « garants de la morale », comme cet horrible avocat « un ancien proche de Mégret » du Front national qui s’en prend au grand Gaspar Noé en voulant faire interdire son film aux moins de 18 ans. Heureusement que le ministère de la Culture tient absolument à empêcher que ce film soit classé X ! La revue l’explique, il y a deux clans : celui de la liberté sexuelle, qui utilise les applications « coups d’un soir » et s’éclatent avec le sexe, et celui des méchants censeurs, contre le porno, des puritains, des intégristes, « vieux conservateurs, anciens nationaux catholiques virés du FN » (sic). Ainsi, dans ce monde binaire, certaines personnes n’existent pas. Ils n’envisagent pas un instant que l’on puisse rejeter la « porn-culture » et la pornocratie tout en étant gay-lesbienne-trans, pro-gender studies, athée, gauchiste, libertaire, libertin, être polyamoureux, partouzeurs, jouir tous les jours et adorer le sexe. Dans la bibliothèque de quartier, je replace sur le présentoir le magazine culturel à côté des journaux du jour et de l’hebdo consacré au foot. Autour de moi, filles et garçons de six ou sept ans s’amusent, rigolent. Qu’elles en profitent. Pas sûre que ces fillettes rient encore longtemps.