Cet article est publié dans L’Echo
Le X-Factor
Dans « Plainte contre X », Alexandre Drouet met en forme le texte coup-de-poing de Karin Bernfeld à l’encontre du cinéma porno, dans lequel des corps « offerts » se soumettent à une demande de plus en plus « net »
Devant un écran vide, une table minuscule au milieu d’une scène nue: un petit carré blanc sur lequel trône un micro dont s’empare Estelle. Elle est vidée par ce porno du mâle dominant (même si pornographie est de sexe, pardon, de genre féminin). Une domination qu’elle dénonce, tandis que résonnent à intervalles réguliers les mots de « salope-chienne-pute », crachant, éructant dans ce microphone à l’aspect phallique son dégoût, révélant l’esclavagisme qui règne dans le milieu des hardeurs. L’esclave qu’elle sera d’un certain X, réalisateur qui ne fut pas son défloreur – un « honneur » laissé au père – mais qui l’a « formée » ou plutôt déformée.
Estelle qui, à 11 ans, découvre, entre sidération, horreur et… fascination, l’univers du porno et y tombe. Dans cette « boucherie », terme utilisé par son gynéco à propos de son dépucelage, elle va se jeter à corps déjà perdu, souillé dès l’enfance et qu’elle a déjà quitté, au sein de cette industrie carnassière et carcassière régie par des lois, enfin une seule: celle de l’offre et de la demande. Dans « Plainte contre X », Estelle qui n’est plus elle, donne une conférence sur le con très rance, et les mains cachées entre les jambes et se demande: « peut-on jouir de ce qui ne nous appartient pas? » D’un corps qui n’est plus qu’un objet, un cadavre parfois articulé. Estelle, alias Roxane Woolf, tournera 300 films de corps à corps, apprendra à « consentir » sous (le joug de) X, mais crie vengeance contre les violeurs auxquels elle a consenti, et les millions de complices branleurs.